Les mains d’Augustin
Augustin Thierry est devenu aveugle à trente ans (en raison d’une atteinte syphilitique), au moment où il achève son Histoire de la conquête de l’Angleterre. Il a été contraint à changer ses méthodes de travail, à recourir à des secrétaires, officiels ou non. Les Archives départementales du Loir-et-Cher conservent ainsi les « cahiers de la chambre », rédigés après le retour d’Augustin Thierry à Paris en 1835 – l’historien avait connu un exil provincial à Vesoul, où son frère Amédée avait été nommé préfet par Guizot en 1830.
Ces cahiers ont tous été numérisés par l’IRHT, et sont à présent visibles sur le site de la BVMM (https://bvmm.irht.cnrs.fr/ – il faut faire la recherche dans la ville de Blois pour trouver les AD 41). Le programme ArchAT peut ainsi entrer dans une deuxième phase qui consiste notamment en leur étude. L’expression « cahiers de la chambre » apparaît sur certains de ces manuscrits. En effet, Augustin Thierry était non seulement aveugle, mais également paralysé des membres inférieurs. Il était donc souvent confiné chez lui – se faire transporter est toute une affaire. On comprend ainsi que les secrétaires venaient écrire, sous la dictée d’Augustin Thierry, dans la chambre même de l’historien.
Un premier examen révèle des mains différentes. Certaines sont identifiées : Gabriel Graugnard, son médecin, Charles Cassou, qui était manifestement son secrétaire officiel, Martial Delpit, payé par le gouvernement dans le cadre du projet des Monuments du Tiers Etat dirigé par Augustin Thierry, raison officielle qui lui a permis de revenir à Paris (je renvoie à l’article de Yann Potin dans le collectif que nous avons dirigé et qui est paru aux PUR en octobre dernier). Et il y a sa femme aussi, Julie, du moins jusqu’en 1844, année de sa mort.
Et sans doute aussi de nombreuses autres mains. La lecture de ces cahiers révèle en effet que parfois Augustin Thierry semble avoir recours à quiconque pénètre dans sa chambre, pour une raison ou une autre : et de dicter une note de lecture, une lettre, une réflexion…
Certaines de ces mains ont une orthographe calamiteuse, ce qui exclut tout « secrétaire » à proprement parler, c’est-à-dire engagé comme tel. Il y a les secrétaires officiels, et les secrétaires officieux.
Cela ne va pas être une mince affaire d’identifier ces mains d’Augustin, et de comprendre les méthodes de travail d’un historien aveugle au XIXe siècle, autour de l’écoute, de la dictée, ce qui pose nécessairement les questions de la collaboration et de l’auctorialité.
Ce sera l’objet d’un séminaire organisé par Yann Potin et qui commence le 15 mars 2019, aux Archives nationales.