Le Furne corrigé d’Augustin Thierry
Les balzaciens connaissent bien l’objet éditorial du « Furne corrigé ». Il s’agit d’un exemplaire des œuvres complètes de Balzac, parues chez l’éditeur Furne à partir de 1842, qui appartenait à l’auteur et sur lequel il a inscrit des corrections, changements parfois minimes, variantes parfois très développées. Ces corrections ne sont parues qu’après la mort de l’auteur (1850), chez l’éditeur Lévy, en 1869, dans une édition qui se disait alors « définitive », selon les termes du prospectus de 1868 (et qui comportait d’ailleurs un certain nombre de réécritures stylistiques de la prose balzacienne, sur lesquelles j’avais travaillé… mais ceci est une autre histoire). Et c’est cette édition que l’on connaît à présent (c’est celle de la Pléiade, par exemple, qui fait toujours référence, expurgées des inventions de Lévy, bien sûr).
C’est pourquoi, en balzacienne de longue date que je suis, j’ai trouvé particulièrement piquant qu’il y ait aussi un « Furne corrigé » d’Augustin Thierry.
Thierry fait paraître ses œuvres complètes de son vivant, chez Furne, à partir de 1851 (je rappelle qu’il est mort en 1856). Or il était particulièrement pointilleux, et n’a eu de cesse, tout au long de sa carrière obérée par sa cécité, de modifier les œuvres qu’il avait déjà publiées (notamment l’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands). Ces rééditions successives sont souvent truffées de variantes, parfois très significatives, d’un point de vue scientifique, ou politique d’ailleurs (à cet égard, la carrière de Thierry n’est guère originale, et il s’est lentement mais sûrement déplacé vers la droite de l’échiquier politique en vieillissant).
Cette édition complète chez Furne constitue un massif éditorial particulièrement labyrinthique, entre des éditions in-8° ou in-18°, parfois parues la même année, et des dates de couverture erronées. Pour faire simple, si c’est possible: on peut avoir, la même année, une édition qui n’est que la reprise d’une édition antérieure mais avec en couverture la date de parution, et, une édition qui est une édition revue et corrigée. Et, pour couronner le tout, le catalogue de la BnF est parfois fautif.
Le contrat éditorial qui devait mener au Furne corrigé, puisqu’il s’agit de cela, est d’ailleurs mentionné dans l’inventaire après décès conservé aux AN et communiqué par Yann Potin. Il est question des « corrections des œuvres au fur et à mesure qu’elles seraient achevées », ce qui donnerait lieu à une « édition reconnue définitive par l’auteur ».
C’est ici l’exemplaire des Récits des temps mérovingiens du Furne corrigé, conservé aux Archives départementales du Loir-et-Cher, qui nous intéresse particulièrement, puisque l’une des finalités d’ArchAT est d’en donner une édition critique. Il s’agit de l’édition de 1851 (in-8°), mais sur la couverture, c’est la date de 1852 qui apparaît : probablement un exemplaire d’auteur donné en vue de ces corrections.
En voici un exemple (le volume vient d’être numérisé à l’IRHT) — évidemment, nul besoin de rappeler qu’il ne s’agit pas, en l’occurence, de la main de Thierry :
Ou un autre, avec une paperolle :
Cette réflexion sur le Furne corrigé de Thierry vient de la nécessité de choisir une édition de référence pour l’édition des Récits, question sur laquelle Giorgia Vocino et moi travaillons actuellement. A priori, ce sera celle de 1856, parue tout juste avant la mort de l’auteur. Elle est annoncée le 26 avril dans la Bibliographie de la France. Thierry meurt le 22 mai. Il reste à vérifier que l’édition publiée par son frère Amédée et l’un de ses exécuteurs testamentaires (et historien), Henri Martin, parue plus tard chez Furne (& Jouvet), et présentée comme l’édition définitive établie d’après les derniers manuscrits de l’auteur, ne comporte pas de variantes… C’est fort peu probable pour les Récits, bien moins retravaillés que la Conquête, et déjà republiés du vivant de l’auteur – mais work in progress, comme on dit.