Le nombre d’ouvrages historiques publiés par Thierry est relativement réduit : on en dénombre à proprement parler 3 : l’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, les Lettres sur l’histoire de France, les Récits des temps mérovingiens. Dix ans d’études historiques est une anthologie de ses articles de jeunesse. L’Essai sur la formation du Tiers-État est une introduction à la vaste entreprise des « Monuments inédits du tiers état », qui demeurera inachevée. La production scientifique d’Augustin Thierry s’est de fait considérablement ralentie avec la survenue de sa cécité en 1825.
1. La collaboration avec Saint-Simon (1815-1818)
À la chute de l’Empire, Augustin Thierry devient le secrétaire de Saint-Simon[1]Sur cette collaboration, voir Philippe Régnier, « Thierry et Saint-Simon : micro-histoire d’une collaboration », in A. Déruelle & Y. Potin dir., Augustin Thierry, l’histoire … Continue reading.
Cette étroite collaboration – Thierry signait alors volontiers « le fils adoptif de Saint-Simon » – produit plusieurs fruits: outre des articles, parus notamment dans le Censeur européen de Charles Comte et Dunoyer, des brochures co-signées (De la réorganisation de la société européenne par M. le comte de Saint-Simon et A. Thierry, son élève, octobre 1814 ; Opinion sur les mesures à prendre contre la coalition de 1815, par H. Saint-Simon et A. Thierry, mai 1815) ainsi qu’une contribution au périodique de L’Industrie, qui paraît par livraisons en 1817.
La raison de leur éloignement n’est pas très claire, outre des dissensions politiques, Thierry avait probablement de plus en plus de difficulté à supporter l’attitude quelque peu tyrannique de son employeur et mentor. Saint-Simon meurt en 1825.
2. Le publiciste (1819-1820)
Augustin Thierry s’éloigne de son maître et ami, se fait la plume du libéral Laffitte. Il continue à écrire dans Le Censeur européen, notamment son article « Vue des révolutions d’Angleterre, en 1818, puis devient, à partir de 1819, publiciste lorsque cet organe devient quotidien, auquel il livre une quarantaine de contributions[2]Voir la liste établie par Rulon Nephi Smithson, Augustin Thierry. Social and political consciousness in the evolution of a historical method, Droz, 1973, p. 308-309..
Comme Thiers ou Mignet, tous deux également venus à l’histoire par le journalisme, Thierry est un autodidacte : s’il s’arrête à des réflexions historiques, d’autres sujets le retiennent, nombreux et variés. Que ce soit la parution d’un ouvrage ou une représentation à l’opéra, tout est prétexte à ferrailler avec le régime et ses tendances liberticides. L’histoire est encore un champ que Thierry traverse à la lumière d’autres préoccupations, politiques avant tout[3]Sur ces articles, voir Stéphane Zékian, « Augustin Thierry publiciste (1819-1820) », in A. Déruelle & Y. Potin dir., Augustin Thierry, l’histoire pour mémoire, PUR, 2018, p. 39-50..
3. Les oeuvres historiques
Les Lettres sur l’histoire de France (1820-1827)
En 1820, Thierry fait paraître dans Le Courrier français une série de « Lettres sur l’histoire de France »[4]Neuf lettres sont parues. Une lettre semble-t-il a été censurée puisque l’on passe de la « huitième » à la « dixième » lettre. qui appellent à une réforme historique et connaissent un grand succès. C’est sa dernière contribution à un organe de presse : ces lettres ainsi que leur réception l’orientent définitivement vers la carrière historique.
En 1827, il fait paraître en volume chez Sautelet ces Lettres sur l’histoire de France, qu’il a en partie réécrites et surtout complétées, puisqu’il y a 25 lettres en tout. En 1829, une 2e édition paraît, passablement amendée à nouveau.
L’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands (1825)
« Tout cela date d’une conquête, il y a une conquête là dessous« . Cette intuition, ainsi que Thierry le relate dans son introduction à Dix ans d’études historiques, est à l’origine de l’ouvrage que le jeune historien fait paraître chez Sautelet en 1825, l’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, de ses causes et de ses suites jusqu’à nos jours, en Angleterre, en Écosse, en Irlande et sur le continent.
Cette œuvre qui connut un grand succès, comme en témoignent les rééditions, consacre Thierry comme historien. Il y développe sa vision dynamique de l’histoire comme lutte des races, entre peuple conquérant et peuple conquis, et y acquiert la réputation d’un historien des vaincus.
Dix ans d’études historiques (1835)[5]La date de l’ouvrage est 1835, mais il paraît à la fin 1834, comme en atteste la Bibliographie de la France.
Oublié par le pouvoir, pourtant aux mains des historiens (Guizot, Mignet, Thiers) de puis la Révolution de 1830, en exil intérieur à Vesoul, auprès de son frère, qui a été nommé préfet de la Haute-Saône, Augustin Thierry songe à reprendre sa place dans la révolution historiographique romantique. De là le projet de Dix ans d’études historiques, une anthologie anthume qui regroupe certains de ses articles de jeunesse, qu’il reprend et retouche à la marge. L’ouvrage paraît chez Just Tessier.
Il rédige également une longue introduction, « Histoire de mes idées et de mes travaux historiques », qui fait figure de premier essai d’ego-histoire et qui lui permet de revendiquer l’impulsion donnée aux nouveaux travaux historiques après la période révolutionnaire.
Récits des temps mérovingiens (1840)
A partir de 1833, Thierry donne à la Revue des Deux Mondes une série de « Nouvelles lettres sur l’histoire de France », qui deviendront les Récits des temps mérovingiens (1840). Thierry y retrace, de manière tout à fait novatrice, car il ne s’astreint pas à un ordre chronologique, des histoires des temps mérovingiens. L’ouvrage est composé de 6 récits, auxquels s’ajoute en 1846 un 7e récit.
Thierry fait précéder ces récits de Considérations sur l’histoire de France, vaste réflexion critique et réflexive sur les différentes histoires de France depuis le XVIe siècle, et leurs évolutions idéologiques. On a pu y voir à juste titre la première « histoire de l’histoire de France ».
4. Les « Monuments inédits du tiers état » (1835-1856)
Augustin Thierry consacre les dernières années de son existence aux travaux commandités par Guizot sur le Tiers-État, charge rémunérée qui lui avait permis de revenir à Paris, et de bénéficier de l’aide de secrétaires appointés par le ministère. Ces recherches sur la formation du Tiers-État s’étalent sur une petite vingtaine d’années, et ne sont publiées (en partie) qu’au début des années 1850. Ce projet traverse difficilement la succession des régimes : la Seconde République demande ainsi compte à Thierry des fortes sommes dépensées par l’État.
De là la rédaction de l’Essai sur la formation du Tiers-État (1851), dernier ouvrage de Thierry, en réponse aux attentes du gouvernement républicain. Thierry y retrouve la vision à grand empan qui était celle des Considérations, mais développe un propos qui vise à minorer les contradictions au sein du tiers état, effrayé par la progression de la pensée socialiste depuis 1848. Censée conforter le soubassement idéologique de la monarchie de Juillet, en légitimant le lien retrouvé entre la monarchie et le peuple, cette histoire du Tiers-État tombe en réalité à contretemps.
Seuls trois volumes d’archives du tiers état avaient été publiés à la mort de Thierry. Bourquelot poursuivra cette oeuvre qui demeurera inachevée (le 4e volume paraît après en 1870, 2 ans après sa mort en 1868)[6]Voir Yann Potin, « Genèse d’une illusion perdue: les « Monuments inédits du tiers état » entre mécénat et « centre d’études historiques » », in A. Déruelle & Y. … Continue reading.
5. Les Œuvres complètes chez Furne
Thierry fait paraître ses œuvres complètes de son vivant, chez Furne, à partir de 1851[7]Cette édition complète chez Furne constitue un massif éditorial particulièrement labyrinthique, entre des éditions in-8° ou in-18°, parfois parues la même année, et des dates de couverture … Continue reading.
Or il n’a eu de cesse, tout au long de sa carrière obérée par sa cécité, de modifier les œuvres qu’il avait déjà publiées (notamment l’Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands). Ces rééditions successives sont donc truffées de variantes, qu’elles soient d’ordre stylistique, qu’elles amendent des erreurs ou des imprécisions scientifiques, ou qu’elles témoignent d’une évolution politique[8]À cet égard, la carrière de Thierry n’est guère originale, et il s’est lentement déplacé vers la droite de l’échiquier politique en vieillissant..
Le contrat éditorial qui devait mener au « Furne corrigé », selon l’expression adoptée par les balzaciens pour qualifier la correction de ses oeuvres complètes par l’auteur même, est mentionné dans l’inventaire après décès conservé aux AN. Il y est question des « corrections des œuvres au fur et à mesure qu’elles seraient achevées », ce qui donnerait lieu à une « édition reconnue définitive par l’auteur ».
Les œuvres complètes chez Furne
Notes
↑1 | Sur cette collaboration, voir Philippe Régnier, « Thierry et Saint-Simon : micro-histoire d’une collaboration », in A. Déruelle & Y. Potin dir., Augustin Thierry, l’histoire pour mémoire, PUR, 2018, p. 23-38. |
---|---|
↑2 | Voir la liste établie par Rulon Nephi Smithson, Augustin Thierry. Social and political consciousness in the evolution of a historical method, Droz, 1973, p. 308-309. |
↑3 | Sur ces articles, voir Stéphane Zékian, « Augustin Thierry publiciste (1819-1820) », in A. Déruelle & Y. Potin dir., Augustin Thierry, l’histoire pour mémoire, PUR, 2018, p. 39-50. |
↑4 | Neuf lettres sont parues. Une lettre semble-t-il a été censurée puisque l’on passe de la « huitième » à la « dixième » lettre. |
↑5 | La date de l’ouvrage est 1835, mais il paraît à la fin 1834, comme en atteste la Bibliographie de la France. |
↑6 | Voir Yann Potin, « Genèse d’une illusion perdue: les « Monuments inédits du tiers état » entre mécénat et « centre d’études historiques » », in A. Déruelle & Y. Potin dir, Augustin Thierry, l’histoire pour mémoire, PUR, 2018, p. 175-234 & « Les fonds d’archives « Augustin Thierry » », ibid., p. 277-284. |
↑7 | Cette édition complète chez Furne constitue un massif éditorial particulièrement labyrinthique, entre des éditions in-8° ou in-18°, parfois parues la même année, et des dates de couverture erronées. On peut avoir, la même année, une édition qui n’est que la reprise d’une édition antérieure mais avec en couverture la date de parution, et, une édition qui est une édition revue et corrigée. De surcroît, le catalogue de la BnF est parfois fautif. |
↑8 | À cet égard, la carrière de Thierry n’est guère originale, et il s’est lentement déplacé vers la droite de l’échiquier politique en vieillissant. |