Augustin Augustin-Thierry (1870-1956) est le petit-neveu d’Augustin Thierry, fils de Gilbert et petit-fils d’Amédée.
La biographie du grand-oncle
Il n’a jamais connu son grand-oncle, et il en prend toutefois, le nom, comme son père. Surtout, il fait revivre sa mémoire. Tout d’abord par une série de conférences, puis par des ‘articles dans la Revue des Deux Mondes en 1921, « Augustin Thierry d’après sa correspondance », enfin par un ouvrage qui exhume la vie et l’oeuvre du grand homme de la famille. Augustin Thierry d’après sa correspondance et ses papiers de famille paraît en 1922 chez Plon-Nourrit, avec une préface de Gabriel Hanotaux.
Dans les années 1920, entre deux centenaires, il s’agit en effet de sauver Augustin Thierry d’un oubli profond, dont l’article de Camille Jullian[1]C. Jullian, « Augustin Thierry et le mouvement historique sous la Restauration », Revue de synthèse historique n°38, 1906. Il s’agit du texte d’une conférence faite le 9 novembre. n’avait pu le tirer. La dernière édition intégrale des Récits des temps mérovingiens date par exemple de 1888.
Si Augustin, second du nom, est introduit dans le milieu artistique (notamment théâtral), son influence semble en retrait par rapport à l’aura de son père Gilbert. Aussi cette publication revêt-elle une double fonction. Il s’agit tout d’abord de consacrer l’auteur, l’historien oublié, de rappeler au public le rôle de « l’Homère de l’histoire » dans la réforme historiographique du début XIXe siècle. Mais cet ouvrage vise également à instituer l’héritier comme seul détenteur d’une parole autorisée sur l’historien (et l’ajout, après la mention de la « correspondance », de l’expression « papiers de famille » dans le titre est à cet égard essentiel). La biographie paraît après la mort du père, Gilbert, en 1915. Par ce geste Augustin se réapproprie ce fonds d’archives familiales – tout en modifiant ce qu’il entend léguer de sa mémoire, notamment au sujet de la conversion de son grand-oncle.
L’ouvrage est préfacé par Gabriel Hanotaux, membre de l’Académie française, qui veut, suite à Brunetière dans la commémoration de 1895, faire de Thierry un classique. Si Thierry a été « d’abord l’historien romantique par excellence », à l’image de sa nation, il a su renier ce péché de jeunesse : Hanotaux évoque la « brusque secousse que la volonté d’un homme de bon jugement imposa au tempérament d’une époque et d’une école, cette révolution soudaine, qui d’un romantique fit un classique ». Bref, « l’homme se mesura avec l’œuvre, et définitivement, la France posséda son historien classique ». Et de louer la « langue pure, simple et sobre » (ce qui est aussi en faire un anti-Michelet), sa « mesure » : Augustin Thierry est « un Français de la meilleure veine ». La préface finit par l’éloge de l’ouvrage d’Augustin Augustin-Thierry, « le monument qu’un digne héritier de cette belle famille vient de leur élever ».
La tentative de résurrection porte bientôt ses fruits : les Récits des temps mérovingiens sont republiés pour la première fois depuis quarante ans en 1928.
Les archives familiales
Dans son ouvrage, Augustin Augustin-Thierry tresse quelques récits : l’hagiographie du martyre aveugle, les aperçus sur sa vie privée et ses opinions politiques, quelques développements sur la réforme historiographique initiée par l’historien. Mais l’un des intérêts du récit est aussi l’utilisation des archives familiales.
À l’orée du texte, une note précise ainsi : « D’après les fragments des Souvenirs inédits d’Amédée Thierry, en ma possession »[2]A. Augustin-Thierry, Augustin Thierry d’après sa correspondance et ses papiers de famille, Paris, Plon, 1922, p. 2., auxquels il renvoie à plusieurs reprises pour vivifier son récit de quelques anecdotes [3]Voir par exemple p. 79.. La mention la plus intéressante demeure le renvoi au « journal » de Thierry, mentionné par son père Gilbert, et dont il fait ainsi la description : « Ce journal de santé, rédigé avec le plus grand soin, à partir de 1844, par le secrétaire et médecin d’Augustin Thierry, le docteur Gabriel Graugnard, fournit également, pour les années qui précèdent, de précieuses indications auxquelles il a été déjà recouru dans ce récit »[4]Ibid., p. 119. Il ne précise toutefois pas quand il y a recours. Il y fait encore référence dans une note : « Le journal de santé d’Augustin Thierry constate cette amélioration durant … Continue reading. Quelques mentions de brouillons apparaissent également dans les notes de bas de page : « En même temps que plusieurs billets de remerciements à Chateaubriand, je trouve, semées dans les brouillons d’Augustin Thierry, des notes fragmentaires, d’après lesquelles je crois pouvoir conjecturer qu’il fut donné lecture en trois fois, passage Sainte-Marie, du livre Ier de la 4e partie des Mémoires d’outre-tombe« [5]Ibid., p. 168.. Augustin Augustin-Thierry évoque l’Histoire de Philippe-Auguste inédite[6]Ibid., p. 86-92., et livre en annexe la correspondance de l’écrivain, dont celle échangée avec Chateaubriand.
Le petit-neveu a laissé de nombreux commentaires, au crayon papier et au crayon bleu, sur les archives laissées par son grand-oncle.
Les articles sur le grand-père
La même année, après cet ouvrage consacré à son grand-oncle, Augustin Augustin-Thierry entend honorer la mémoire de son grand-père, Amédée, en balayant la « poussière » qui a recouvert son œuvre. C’est l’enjeu de trois articles parus dans la Revue des Deux Mondes à la fin de l’année 1928, à la faveur du centenaire de l’Histoire des Gaulois. La tentative de réhabilitation passe par le rappel de la gloire de l’aîné. Augustin Augustin-Thierry dessine le partage des tâches et des expériences entre les deux frères : « Périlleuse comparaison, on l’a d’abord rapproché de son frère et sacrifié sur son autel. Première et souveraine injustice. Tous deux, loin de se nuire, ont des mérites différents. Mais beaucoup mieux que celle-là, d’autres raisons peuvent expliquer un discrédit inique. Les vingt années qui suivent sa mort sont une époque de transition historique, de bouleversement des vues et des méthodes ».
Augustin Augustin-Thierry évoque l’évolution de la science historique au XIXe siècle, regrettant que le « déterminisme d’un Taine » ou encore « la sociologie d’un Fustel de Coulanges » aient condamné sans rémission possible les « tentatives généralisatrices ». La conclusion met au jour un désir de consécration et de reconnaissance tout en pointant la difficulté de l’entreprise : « Amédée Thierry devrait être compté parmi les plus grands historiens français » ; « Pareils titres d’honneur devraient garantir une mémoire. Alors pourquoi cette rigueur, pourquoi cet ostracisme ? » Mais « serviteur de l’Empire », Amédée ne peut guère entrer au panthéon républicain, et subit aux yeux de son descendant un « anathème excessif ». Aucun projet de réédition de l’œuvre d’Amédée ne voit le jour par la suite. Certains de ses manuscrits sont légués à l’Institut en 1939 par Louis de Goy, juriste et titulaire du prix Montyon de l’Académie des Sciences morales en 1909.
La mémoire familiale, entre dévotion et tractation
Augustin Augustin-Thierry est surtout l’auteur de l’histoire de sa famille, même s’il donne d’autres ouvrages d’histoire littéraire (Les Grandes Mystifications littéraires en 1911-1913, Trois amuseurs d’autrefois en 1924, Un colonial au temps de Colbert. Mémoires de Robert Challes, 1931, Mademoiselle George, maîtresse d’empereurs, 1936, Le Tragédien de Napoléon : François-Joseph Talma, 1938) ou, de là, de vulgarisation historique sur la famille impériale (Le Prince impérial, 1935, Notre-Dame des colifichets : Pauline Bonaparte, 1937, Madame Mère, 1939).
Cette fructification de l’héritage familial passe aussi par la vente de certains documents. La correspondance entre Augustin Thierry et la princesse de Belgiojoso est vendue, après de nombreuses tractations en 1953-1954, à la bibliothèque municipale de Milan (le prix ayant été revu à la baisse, puisqu’elle n’est pas inédite[7]Voir le dossier de correspondance conservé à la cote 15 Z 16 aux Archives municipales de Blois..
Augustin Thierry décède le 23 mars 1956, juste avant les cérémonies qui devaient commémorer la naissance de son grand-oncle. Sa fille adoptive, Baptistine Augustin-Thierry (1906-2007), reprend le flambeau de la mémoire familiale : elle est à l’origine de plusieurs dons d’archives dans les différents organismes archivistiques de Blois et de la création de plusieurs prix d’histoire Augustin-Thierry, à l’Académie française en 1991, à Blois pour les Rendez-vous de l’Histoire en 1998 et à la ville de Paris depuis 2011. Le prix Augustin-Thierry des Rendez-vous de l’histoire de Blois, créé en 1998, a été symboliquement et rétrospectivement donné à Anne Denieul Cormier pour sa biographie, Augustin Thierry, l’histoire autrement (1996) mais seulement en 2009, lorsque le prix Augustin Thierry est différencié du Grand Prix des Rendez-vous, selon les dispositions testamentaires de Baptistine Augustin-Thierry qui a légué 700 000 francs pour la remise d’un prix Augustin Thierry[8]Le Conseil Municipal a adopté le 22 juin 2009 une Convention entre la ville de Blois et l’association Centre européen de l’Histoire qui fixe un « prix Augustin Thierry rénové », … Continue reading.
Notes
↑1 | C. Jullian, « Augustin Thierry et le mouvement historique sous la Restauration », Revue de synthèse historique n°38, 1906. Il s’agit du texte d’une conférence faite le 9 novembre. |
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↑2 | A. Augustin-Thierry, Augustin Thierry d’après sa correspondance et ses papiers de famille, Paris, Plon, 1922, p. 2. |
↑3 | Voir par exemple p. 79. |
↑4 | Ibid., p. 119. Il ne précise toutefois pas quand il y a recours. Il y fait encore référence dans une note : « Le journal de santé d’Augustin Thierry constate cette amélioration durant les années 1838-39 et la plus grande partie de 1840. Le malade souffre cependant d’insomnies fréquentes que l’on combat avec des pilules d’opium » (ibid., p. 160). Ce journal de santé a été retrouvé après la campagne de numérisation du programme ArchAT |
↑5 | Ibid., p. 168. |
↑6 | Ibid., p. 86-92. |
↑7 | Voir le dossier de correspondance conservé à la cote 15 Z 16 aux Archives municipales de Blois. |
↑8 | Le Conseil Municipal a adopté le 22 juin 2009 une Convention entre la ville de Blois et l’association Centre européen de l’Histoire qui fixe un « prix Augustin Thierry rénové », « en mémoire de l’Historien et Homme de Lettres Augustin THIERRY ». Ce prix doit récompenser « les travaux d’un historien ayant publié au cours de l’année de l’attribution, un ouvrage ou l’ensemble d’une oeuvre concernant l’histoire contemporaine ». Et, « par dérogation à l’alinéa précédent et conformément aux souhaits formulés par Madame Baptistine Augustin-Thierry, il est convenu que le prix 2009 sera décerné à Madame Anne Denieul Cormier pour son ouvrage Augustin Thierry, l’histoire autrement, paru en 1996 aux éditions Publisud ». |